Eress, symbole d’une grandeur passée et de sa déchéance. C’est là que Taf-nekhta vit le jour. Elle devint le joyau de la famille Zivaï, une famille de haute noblesse éressienne bien connue dans le monde du commerce et de la diplomatie. Une si haute naissance lui avait en partie épargné ce que bien d’autres devaient quotidiennement subir dans ce dernier rempart d’un monde oublié. La sphère d’influence de sa famille était telle, qu'elle s’étendait bien au-delà de leurs frontières.
Mais vivre à Eress, que l’on soit de haute ou de basse naissance, n’était jamais simple. Les heures aveugles hantaient chaque cœur et seuls les plus forts pouvaient survivre sans perdre l’esprit. Les reliques de technologies oubliées nétaient pas suffisantes pour repousser l’obscurité. Cette calamité qui poursuivait les éressiens depuis si longtemps maintenant était devenue leur quotidien. Certains disaient qu’ils avaient payé leur lacheté, d’autres qu’ils avaient été artisans de leur chute et d’autres encore maudissaient les dragons de cette vie si misérable.
Taf-nekhta passa donc ses jeunes années dans une famille fière de ce passé oublié. Fière de la grandeur d’un peuple bien supérieur aux autres, ainsi qu’en témoignaient leurs noms et leurs traditions. Mais aussi une famille honteuse. Honteuse d’avoir été pointée du doigt. Honteuse d’avoir perdu une grande partie de ce pouvoir qui les rendait tellement supérieurs aux peuples primitifs du reste du monde. Les éressiens devaient retrouver leur grandeur et aussi leur honneur. Ils avaient peut-être perdu leur avantage technologique, mais ils étaient un peuple érudit et doué. D’autres voies étaient possibles. Elle évolua dans l’adoration de ce passé, s’en convainquit elle aussi.
Le jour de son seizième anniversaire, sa famille l’envoya bien loin de ce manoir aux cents pièces. Cette cage dorée dont il ne vallait mieux pas tenter de sortir tant les risques étaient grands. Pour apprendre, lui avaient-ils dit. Elle était destinée à la diplomatie, alors comprendre le monde lui sera profitable. Elle fût accueillie dans une famille, si loin de chez elle, et prit le nom de Miriela. Une famille de notables d’une sorte qu’elle n’avait jamais rencontré auparavant : les impériaux. Les Claudius lui firent un accueil chaleureux et très vite elle se lia avec la fille Claudius, Filia. Le temps passé auprès d’eux était doux. La peur qui hante les âmes des habitants d’Eress lui semblait bien loin. Elle passa les quatre années suivantes à étudier à l’académie avec son amie, la seule qui eût connaissance de son véritable prénom hors des murs de sa cité natale.
Enfin, elle profitait de sa jeunesse. Un peu trop parfois. Mais toutes bonnes choses avaient une fin et elle dû retourner auprès des siens. Retrouver ses parents, sa sœur et son frère ainsi que le confort moderne fût une joie teintée d’amertume. La peur avait repris sa place. Mais ce n’était pas le principal problème. Elle apprit alors que son séjour chez les Claudius n’était autre que le fruit d’une pratique archaïque, la pratique des otages donnés. Elle n’avait pas passé tout ce temps à étudier, pas seulement en tout cas. Elle n’a jamais osé en parler à son amie, de peur de la blesser à son tour. Elles entretiennent encore aujourd’hui une relation épistolaire irrégulière. Toujours avec prudence. Jusqu’au moment où leurs chemins se croiseront de nouveau.
Suite à cette révélation, elle fit un simple constat. Si sa propre famille pouvait la trahir, n’importe qui le pouvait. Elle devait apprendre. Apprendre à comprendre et à contrôler les cœurs pour les conquérir. Elle poursuivit avec ardeur sa formation. Ses dons de courtisane se développèrent rapidement. Elle était douée. On l’envoyait d’un endroit à un autre, négociant les intérêts de sa famille à coup de charme et de soirées mondaines.
De ces années à l’académie, elle gardait également un goût pour l’art des poisons. Un art qu’elle avait découvert auprès d’un jeune alchimiste, Archibald. Un jeune homme fort séduisant avec qui elle avait partagé un peu plus qu’un simple intérêt pour les mixtures diverses et variées. Bien qu’elle ait continué à se perfectionner dans ce domaine un peu particulier après son départ. Toutes ces nuits passées avec Filia et avec lui étaient bien loin désormais.
Ses sourires sont toujours aussi chaleureux, mais elle a appris. Être courtisane, c’est être entourée de monde en permanence tout en sachant pertinemment qu’à un moment donné on se retrouve seule. La seule relique de ses moments d’insouciance est le nom sous lequel elle se présente toujours dès qu’elle quitte Eress. Miriela.