Le drame de la vie de Cornelia Aedifica, c’est qu’elle n’est pas née à la bonne époque.
Architecte, ingénieure et maître de chantier, elle a passé sa vie à chercher un projet à la hauteur de son ambition. Malheureusement, l’époque de construction des grands viaducs, des palais rivalisant de splendeur et aux plafonds aussi hauts que le ciel, et des temples monumentaux à la gloire des dieux – et des hommes - est révolue depuis plusieurs siècles. Dans le meilleur des cas, ceux qui survivent dans les ruines de se contentent d’entretenir les ouvrages existant.
Elle a impérialisé son nom en espérant trouver plus facilement des clients, mais rien n’y faisait. Même les manoirs des plus riches patriciens manquent d’envergure.
Cornelia a fini par se résoudre et a rejoint les patrouilleurs. Pour leur compte, elle a dirigé des travaux pour remettre en état des routes, des ponts ou des bâtiments sur une bonne partie de l’Ouest. Elle en a profité pour apprendre des ruines environnantes et perfectionner son art pour, un jour peut-être, créer l’œuvre de sa vie.
Le temps a passé, et aucun projet digne de ce nom ne s’est présenté. Jusqu’à maintenant. Cornelia met tous ses espoirs sur l’expédition vers l’Ile d’Emeraude, car qui dit nouveau territoire à pacifier dit fortin à bâtir. Elle espère bien convaincre la jeune commandeur de la laisser construire un fort digne de ce nom. Et elle entend par là digne des patrouilleurs et digne de son talent. Elle a même déjà quelques croquis dans son sac, qui montrent un goût marqué pour les voutes en ogive et la démesure.
Cornelia est douée, le sait, et n’hésite pas à le rappeler à ses interlocuteurs. Ses employeurs lui passent ses excentricités car elle fait systématiquement approuver ses plans avant de les mettre en œuvre (elle a appris à ses dépends qu’elle pouvait avoir des ennuis si elle déviait trop de la demande initiale). Cela étant, elle est têtue et la négociation (à la baisse) de chacun des détails du projet peut prendre des semaines… ou des mois.
Elle est généralement appréciée par les ouvriers et les compagnons qui travaillent sur ses chantiers. Elle les gère d’une main de fer mais est juste et s’assure que la paye et les fournitures arrivent à l’heure.
Malgré ses envies de grandeur, on ne l’a jamais vue refuser un projet depuis qu’elle a rejoint les patrouilleurs. Elle ne manquera pas de se plaindre de ces tâches indignes qui gâchent son talent, mais elle appliquera la même minutie au repavement d’une route qu’à la restauration d’un fort.
Elle a un goût prononcé pour l’architecture gothique, les grands espaces et les voutes en ogive. Elle peut parler de ses idées pendant des heures à tout interlocuteur qui veut bien l’écouter. Une fois lancée, il est extrêmement difficile de la faire changer de sujet, et la fuite est la meilleure option.